Chronique littéraire - Une maison en bordel

        




   Au premier abord, ce titre vous évoque sûrement une maison sans dessus-dessous (au final surtout sans dessous), pleine de brols dont nous n’osons pas nous débarrasser et où la solution serait aménagée par la célèbre Marie Kondo, reine japonaise du rangement et du pliage de vêtements. Pourtant, nous en sommes loin. La réelle thématique de cette chronique est basée sur un ouvrage à caractère pornographique qui s’intitule La Maison, publié aux Editons Flammarion en novembre 2019 dont l’auteure est Emma Becker. L’œuvre a été reçue comme un véritable phénomène, avec 40 000 exemplaires vendus et trois distinctions attribuées : prix Blù Jean-Marc Roberts (2019), prix Roman News (2019) et prix Roman des étudiants France Culture-Télérama (2019). L’écrivaine, trentenaire de nationalité française vivant à Berlin, n’en est pas à son premier roman. En effet, aux éditions Denoël, elle en a publié deux autres : Mr. (2011), traduit dans quatorze langues, et Alice (2015). Ces précédents romans peuvent aussi être qualifiés de littérature érotique voire pornographique selon les avis. 

    Pourtant son dernier ouvrage a un aspect différent. En effet, pour en resituer le contexte narratif, il s’agit en fait d’un roman-témoignage de l’expérience de la prostitution que l’auteure a vécu dans une maison close à Berlin pendant 2 ans. C’est donc un récit autofictionnel, très ancré dans l’actualité thématique de la sexualité et de la prostitution. C’est de manière omnisciente que l’auteure et protagoniste de l’œuvre, qui emprunte le prénom de Justine pour son métier de prostituée, nous emmène dans cet univers sexuel (mais pas que !) dont la pratique est légalisée en Allemagne. Elle dépeint tout de ce métier: du fisc aux filles, du racolage sur le trottoir aux maisons closes bourgeoises, des demandes sexuelles à leurs pratiques, et ce à l’apogée du mouvement #Metoo, de l’attente éternelle d’un client à l’enchaînement de rendez-vous et le plus intéressant, de son évolution autour des femmes et en tant que femme. 

- "Mais... c'est légal, ici ? 
- Tout est légal. La prostitution, les bordels, les escort-girls...
- Mais, dis-moi, c'est le paradis !" 

    Après avoir fermé les pages de ce livre longuet, la première sensation qui se profile est de la déception. En effet, bien que le livre ait été captivant, quoique de façon trop inégale, il faut reconnaître que l’histoire n’est pas linéaire, ce qui amène de la confusion lors de sa lecture. De plus, le style d’Emma Becker relève, au niveau épilinguistique, d’une écriture trop journalistique. Ce style est destiné à mettre en avant l’information. De cette manière, l’auteure s’efface devant l’information à transmettre, pour élever le niveau de connaissance de ses lecteurs, qui est d’ailleurs son objectif final et qui est très louable. Ainsi, son écriture est plutôt informative, ce qui est assez logique pour un témoignage mais cela ressemble plutôt à une enquête sociologique qu’à un roman, d’où la déception. 

     De plus, la description faite par l'écrivaine d’une mécanique du désir relève de quelque chose de plutôt scientifique que narratif. Elle traite de manière légère et parfois détachée de choses qui peuvent être douloureuses. C’est un roman très esthétique pour la thématique qu’il énonce. En effet, je regrette le manque de vocabulaire cru voire vulgaire de la rédaction ainsi que le peu de variétés synonymiques. Ce qui donne un ton qui est plus ou moins pornographique car il manque quelque chose à cette écriture. Sur presque 400 pages de texte, l’effet performatif de ce genre littéraire n’aura eu raison de moi qu’une seule fois. La prostitution, comme le cite Emma Becker dans son livre, est apolitique. Pourtant, l’auteure prend bien une position militante par rapport à la prostituée en générale, surtout à la fin du roman. En effet, dans les dernières pages, elle montre un féminisme déterminant et une solidarité, en accord avec l’actualité du #Metoo, par rapport à un métier où l’on pourrait croire que la discorde règne sans arrêt entre les prostituées. Aussi, l’auteure parle de certaines pratiques sur les conditions de recrutements et d’exploitations de certaines filles, notamment celles venant de l’Est, amenées de gré ou de force, dénonçant ainsi un système de marchandisation de la femme encore très présent. 

      Pour conclure, je dirai que l’œuvre est intéressante pour son côté inédit et courageux du témoignage et pour cette découverte immersive du monde de la prostitution. L’engagement de l’écrivaine est à saluer. Cependant, je ne définirai pas cet ouvrage de « roman » car bien qu’il ait un côté littéraire d’une certaine manière, il manque cruellement de liberté de langage et a plutôt une visée informative que performative et sa construction narrative donne un effet de brouillon dans sa rédaction, qui rend mon avis mitigé sur cet ouvrage. Au final dans une maison en bordel, certains s’y retrouvent et d’autres pas. 

Commentaires

  1. Wahouuuww une très belle chronique vraiment j'ai beaucoup aimé bonne continuation. Est ce possible de la partager

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonsoir, merci pour votre retour :) L'onglet "Partager" se trouve en dessous du post, juste avant celui des "commentaires". Merci aussi du soutien ! Belle soirée à vous

      Supprimer
  2. Quelle chronique passionnante qui donne envie de se lancer dans la lecture de ce livre ! Je vous souhaite une bonne continuation et à très bientôt pour une de vos chroniques sur un "roman" à proprement parler.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci L'aventurier ! La prochaine chronique littéraire sur un "roman" tel que je le considère sera mise en ligne la semaine prochaine. Restez donc connecter :) J'espère que vous aurez également un retour positif pour celle-ci. Encore merci. Très belle soirée à vous

      Supprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés